« A 39 ans, j'ai appris que je souffrais d'un cancer du sein. Or, les six années qui venaient de s'écouler avaient été très difficiles à vivre, raconte Elodie Marlaud, 41 ans. De plus, la maladie s'est déclarée dix ans, mois pour mois, après le cancer de mon père, qui lui fut fatal. »
Bon nombre de personnes atteintes d'un cancer font parfois instinctivement le lien entre leurs souffrances psychologiques et leur maladie. Cancérologues, biologistes et psys sont d'accord sur le fait que le cancer est une maladie impliquant plusieurs facteurs : génétiques - 5 à 10 % des cancers du sein seraient héréditaires -, alimentaires, environnementaux, infectieux... En revanche, les positions des uns et des autres divergent lorsqu'on évoque l'implication du psychisme dans la survenue de la maladie.
Pourtant, la question mérite qu'on s'y attarde : des stress ou un traumatisme ancien peuvent-il faire le nid d'un cancer ? Personne ne détient la vérité en ce domaine. Et ce n'est pas la kyrielle de recherches sur ce thème qui nous permet de trancher : leurs résultats s'avèrent en effet contradictoires.
Stress et baisse de l'immunité
Après avoir analysé les résultats de différentes études, une équipe de chercheurs a conclu à l'existence d'une relation entre certains événements de vie (séparation, perte de proches, événements stressants) et la survenue d'un cancer du sein. De leur côté, les oncologues se gardent bien de toute interprétation hâtive. Les personnes atteintes de cancer éprouvent le besoin de donner un sens à leur maladie. Le cancer étant sous la dépendance de multiples facteurs, cela complique encore les choses.
Reste que la plupart des études scientifiques sur le stress montrent clairement que ce dernier entraîne une baisse des défenses immunitaires de l'organisme.
Ainsi, aux États-Unis, un programme a révélé qu'un soutien psychologique et comportemental, dispensé pendant une période de quatre mois à des femmes opérées d'un cancer du sein, avait fait baisser leur niveau d'anxiété et surtout renforcer leurs défenses immunitaires.
Mais, au-delà du facteur il y a l'histoire stress personnelle d'un malade, avec son lot de joies et de souffrances, une histoire forcément singulière.
Un conflit intérieur en cause ?
Certains psys se sont d'ailleurs penchés sur l'aspect "psychosomatique" de la maladie, et ont élaboré des théories qui rendent compte de l'influence du psychisme dans la survenue des pathologies. Comment, à partir d'une souffrance psychique, pourrait-on se "fabriquer" une maladie physique, comme un cancer ? Dans ce domaine également, toutes les théories ne font pas l'unanimité !
Le psychanalyste Groddeck, contemporain de Freud, a ouvert le champ de la psychosomatique. Selon lui, le cancer et les autres maladies dégénératives ne sont pas le fait du hasard, mais proviennent d'un conflit intérieur perçu comme une menace vitale, vécu dans l'isolement et impossible à mettre en mots.
L'Institut de psychosomatique de Paris, créé par Pierre Marty, défend pour sa part l'idée que les gens qui développent une grave maladie somatique présentent un certain type de personnalité : leur vie psychique se serait constituée avec un défaut de base. Et lorsqu'un deuil, une séparation surviendrait plus tard, l'ensemble de l'équilibre psychosomatique serait rompu. C'est alors que le corps prendrait la relève et qu'apparaîtrait la maladie. Ces personnes présenteraient aussi une "pensée opératoire". En clair, elles seraient ancrées dans le concret et éprouveraient des difficultés à accéder à leur imaginaire et à leurs fantasmes.
Un deuil impossible à faire
« Ce discours peut être très culpabilisant pour les malades », réagit Laurence Larquey, atteinte d'un cancer de l'estomac à l'âge de 30 ans. Elle pense cependant qu'elle n'est pas tombée malade par hasard" : « Avant ma maladie, j'étais une battante, dit-elle. Et pourtant, dans les deux mois qui ont suivi l'annonce de mon cancer, j'ai compris à quel point j'étais malheureuse. Comme si mon corps m'avait dit "Tu n'as pas conscience de la dépression dans laquelle tu te trouves, alors je vais t'envoyer un signal tangible". Je reste persuadée que si je n'avais pas eu cette maladie, j'aurais disjoncté sur le plan psychique. »
Pour le psychologue américain Laurence LeShan, la maladie — notamment le cancer - apparaîtrait lorsque surviendrait dans la vie d'une personne une "perte d'objet d'amour", qui réveillerait une autre perte de l'enfance, une souffrance n'ayant pas été exprimée et dont le deuil était impossible.
D'autres théories établissent un lien entre certaines souffrances psychiques et des organes-cibles : le cancer de l'estomac concernerait ainsi les personnes n'ayant pas "digéré" certains événements douloureux de leur enfance, le cancer du sein pourrait, quant à lui, être dû au syndrome du nid vide" qui toucherait les femmes ayant récemment vécu une séparation avec un conjoint, un enfant... psys et cancérologues restent prudents
La plupart des psys affichent une certaine prudence face à ces théories construites à partir des discours des patients. Ils arguent que ce qui est vrai pour un patient ne l'est pas forcément pour un autre.
La vie psychique ne peut se réduire à un "facteur" parmi d'autres. Mais la possibilité pour un patient d'exprimer les représentations de sa maladie lui permet de l'intégrer dans son existence et de mieux la vivre.
Ces théories sont intéressantes, mais restent des hypothèses pour tenter de comprendre les relations entre le psychisme et le corps. On peut aussi avoir vécu des traumatismes, même très lourds, et ne jamais développer un cancer de sa vie !
De leur côté, nombre d'oncologues se demandent comment une tumeur présente dans l'organisme depuis plusieurs années pourrait avoir un rapport avec un deuil ou une rupture qui a eu lieu quelques mois seulement avant l'apparition du cancer. Un cancer du sein se développe en moyenne en huit-dix ans, martèlent-ils. Mais une autre hypothèse se profile : si un stress récent n'explique pas la genèse d'un cancer, il pourrait en revanche accélérer le développement de petits cancers dormants. Les oncologues sont en effet unanimes : il n'en existe pas deux semblables, car chaque personne se fabrique son propre cancer.
Pour tenter de décrypter les liens mystérieux unissant psychisme et cancer, nous pourrons nous appuyer sur une nouvelle science la psycho-neuro-immunologie, qui établit des ponts entre psychisme, biologie et immunité. Les spécialistes de ces disciplines travaillent désormais de concert. Une alliance qui s'annonce fort prometteuse...
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