Témoignage de Paul : de l'accident au succès en robotique
Alors qu'il travaillait comme ingénieur au Commissariat à l'énergie atomique (CEA), Paul perd brutalement l'usage de ses bras et de ses jambes dans un grave accident de ski. Il faudra une hospitalisation de plus de deux ans, puis encore trois longues années pour qu'il surmonte les difficultés tant physiques que psychologiques nées de son handicap.
« Après cinq ans, je me sentais de nouveau apte à reprendre une activité professionnelle », explique-t-il. Avant son accident, Paul avait coutume de manipuler des appareils d'électronique et d'optique dans son laboratoire, une activité qui lui est désormais interdite. « Mon employeur m'a donc changé de spécialité : je suis devenu roboticien. »
Comme il le dit lui-même, Paul a « eu de la chance », car il évolue au sein du CEA, une structure de recherche de pointe capable de mettre à sa disposition une véritable station de travail qui pallie sa déficience au niveau des membres supérieurs. Le robot est donc devenu à la fois l'outil qui lui permet de travailler et son objet d'étude.
Être ingénieur et tétraplégique
Pendant 24 ans, Paul a ainsi dirigé une équipe qui a mis au point des robots Master (Manipulation autonome au service des tétraplégiques pour l'environnement et la réadaptation). Il a poursuivi une brillante carrière au cours de laquelle il a voyagé dans le monde entier et a même obtenu le Prix européen pour la recherche et l'innovation. Depuis un an, il goûte une retraite bien méritée.
L'histoire de Paul est exceptionnelle. En effet, encore trop peu nombreuses sont les personnes souffrant d'un handicap moteur ou sensoriel - de naissance, suite à un accident ou à une maladie - qui arrivent à s'insérer dans la vie professionnelle. Et surtout avec une telle réussite.
En France, la population active handicapée en France était estimée à environ 853 000 personnes, dont 630 000 occupaient un emploi et 223 000 étaient demandeurs d'emploi. Les entreprises employaient environ 3,6 % de travailleurs handicapés, ce qui représente près de 227 000 personnes, alors que la loi leur imposait un quota de 6 %.
Un chiffre qui cache une grande disparité dans les politiques de recrutement puisqu’un tiers des entreprises assujetties à cette obligation n'emploieraient aucun travailleur handicapé. Dans ce cas, elles sont contraintes de verser une cotisation annuelle à l'Agefiph (Fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées). Le secteur public ne montre pas non plus l'exemple, avec des chiffres également inférieurs à 6 %.
Dans ce contexte, comment expliquer le parcours de Paul, tétraplégique et ingénieur du CEA ? En fait, sa réussite a été rendue possible par la conjugaison de trois facteurs indispensables pour assurer le succès de l'insertion professionnelle des personnes handicapées.
Paul possédait largement les compétences nécessaires à l'exercice de sa fonction puisqu'il est titulaire d'une thèse de doctorat. Son employeur était motivé pour créer un poste en adéquation avec ses capacités physiques. Enfin, les aménagements indispensables pour qu'il puisse exercer son activité professionnelle et se déplacer correctement sur son lieu de travail ont été assurés.
Bien sûr, il n'est pas nécessaire qu'une personne handicapée atteigne un niveau d'études aussi élevé pour prétendre à un emploi. Néanmoins, les postes longtemps dévolus aux handicapés ont évolué. Les métiers manuels sont en voie de disparition, remplacés par des postes qui requièrent certaines qualifications.
Handicap au travail : des formations adaptées
Pourtant, encore trop souvent, les personnes handicapées manquent de diplômes, ce qui leur ferme des portes sur le marché de l'emploi. C'est en tout cas le constat de Claude André, responsable de la cellule de recrutement et de maintien dans l'emploi des personnes handicapées d'une grande banque.
« Il y a une inadéquation entre les cursus de ces personnes, tous types de handicaps confondus, et les profils recherchés car 80 % de notre recrutement se fait sur des profils commerciaux, à partir de Bac + 3 », précise-t-elle, alors que seulement 16 % des handicapés sont titulaires du Bac (contre 33 % dans la population générale).
Pour pallier le manque de candidats et faciliter l'insertion des personnes recrutées, l'entreprise de Claude André travaille en partenariat avec des organismes spécialisés dans la formation professionnelle de personnes handicapées.
Alice, secrétaire assistante bureautique au côté de Claude André, a bénéficié de ce type de collaboration. Cette jeune femme de 28 ans est malentendante de naissance. Pendant sa scolarité, du BEP au BTS, elle a été suivie par le Serac (Sourds, entendants, recherche, action, communication), un organisme qui regroupe plusieurs associations dont la mission est de faciliter l'accès des personnes sourdes et malentendantes à la vie sociale, culturelle et professionnelle.
Le Serac leur propose notamment des formations en alternance dans le domaine de la bureautique afin de les aider à surmonter un obstacle majeur à leur insertion professionnelle : une bonne maîtrise du français oral et écrit. Une fois le contrat décroché, les anciens élèves du Serac continuent de suivre ponctuellement des stages pour remédier aux difficultés rencontrées dans l'exercice de leur profession.
La banque de Claude André, comme d'autres grandes entreprises, essaie de multiplier ce type de partenariat avec des organismes qui développent une compétence pour un type particulier de handicap. « À chaque fois, nous nous retournons vers les expert et l'Agefiph qui, elle, intervient dans le financement », dit-il. Dans ce cadre,
Alice, bien qu'en CDI, suit un stage de français pour améliorer encore sa syntaxe et ses capacités rédactionnelles. Alice est née malentendante. Son handicap n'a jamais évolué au cours de sa vie. Pour d'autres, l'activité professionnelle peut être remise en cause par une déficience de plus en plus handicapante.
C'est le cas de Jean, 54 ans, non-voyant et standardiste dans un grand magasin. Jean est né malvoyant. Durant sa scolarité, il aura dû renoncer à des études agricoles, puis à une formation comme apprenti boulanger, à cause de ses yeux. Il réussira pourtant à obtenir un diplôme d'aide-comptable, mais ne pourra pas continuer dans cette voie.
D'un travail à l'autre
« Pendant douze ans, j'ai été gardien des coffres à la Caisse d'Épargne, mais mon problème aux yeux est revenu. J'ai alors été mis en maladie, en longue maladie, puis en invalidité. Depuis 2012, je ne vois plus. On m'a envoyé à la Cotorep (Commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel, N.D.L.R.), qui a estimé que standardiste était le seul métier que je pouvais faire. »
Depuis douze ans, Jean, accompagné de son chien, répond aux clients grâce à un téléphone adapté à son handicap. Il n'a pas choisi cette profession. Pourtant, il est loin d'être découragé. À force de volonté, il aura réussi à travailler toute sa vie et n'exprime qu'un regret : n'avoir jamais vraiment choisi lui-même sa voie : « À l'époque, si l'informatique pour les non- voyants avait été aussi développée, je me serai formé », conclut-il.
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